Règle d’or

la règle d'or

Les lois physiques sont immuables, telles que la loi de gravité. Il vous paraît évident qu’un objet lâché tombe sur le sol, ou qu’il vous est plus facile de le jeter par terre plutôt que de le soulever. Les lois spirituelles, de l’esprit, sont également immuables, quels que soient les hommes, les cultures et les religions.

La règle d’or est la loi spirituelle incontournable, la loi d’Amour.

entraide

Voici un extrait du roman que j’avais écrit sur le sujet :

« Le lendemain, je me rends chez le père Duvillard. Ce dernier est prêt et sobre. Il m’emmène sur un chantier pour construire, à deux, une maison. Celle-ci permettra de loger une famille nombreuse dont le père est mort dans la mine. Le principe de construction est relativement simple, sans isolation, ni eau ni électricité, comme pour la moitié des habitations de Potosi. Le poids des pierres est particulièrement lourd à cette altitude. La journée est laborieuse. Le père Duvillard n’est pas bavard. Ses mains tremblent. Il profite de la présence du petit-fils de Jacques Demussière pour tenter de se désaccoutumer de l’alcool, et de redevenir l’homme qu’avait connu mon grand-père. Il boit de temps en temps une gorgée, mais uniquement pour diminuer ses crises de tremblements. Je commence la journée avec l’espoir d’un échange de grandes idées. Les heures de silence me rendent dans un premier temps déçu. Puis, comprenant les efforts du curé, je décide d’attendre patiemment, et mets un point d’honneur à ne pas aborder le sujet le premier. Après tout, cette attente est peut-être un test.

Les jours passent ainsi. Les mots échangés se limitent à des questions techniques relatives à la construction. Je découvre en moi une force que je ne soupçonnais pas. Je suis stoïque. Épuisé les premiers jours, je développe ma musculature, m’adapte aux travaux physiques. Isabella me rend régulièrement visite, mais je suis peu enclin à sortir après mes journées harassantes. Je lui donne immuablement la même réponse : « Rien de nouveau ». Ariel s’est manifesté également au bout de six jours, s’enquérant de l’avancement des recherches. Je lui ai répondu que je patientais, attendant la volonté du père Duvillard. J’ai eu du mal à écrire sur le clavier, mes doigts étant blessés par les matériaux de construction et par le froid. Mais plus le temps passe, plus ma volonté s’affermit. Je mets à profit la répétition des gestes pour m’exercer à faire le vide en moi.

Le père Duvillard change aussi. Il boit moins, ne fait plus de siestes, écourte les visites chez ses paroissiens. Ces derniers s’étonnent de cette métamorphose, et surveillent discrètement le chantier. Ils n’étaient plus habitués à voir le curé travailler efficacement. La présence du gringo en est certainement la cause. Pierre devient une énigme pour les habitants. Qui peut-il être pour exercer une telle influence sur le caractère pourtant difficile du padre ? Peu à peu les langues se délient et les plaisanteries fusent. Les gens s’amusent à considérer Pierre comme le fils de Charles, puisque ce dernier l’appelle mon fils. Mais la méchanceté n’a pas de place dans cette dérision, car tout le monde connaît le but désintéressé des deux bâtisseurs. Il n’est pas rare que ces derniers découvrent sur les murs de leur chantier une bouteille ou de la nourriture offerte par des voisins pourtant démunis.

Les murs sont érigés. La mise en place de la charpente semble moins pénible. Le changement du rythme du travail est propice au relâchement. Le père Duvillard s’ouvre enfin.

- La règle d’or est essentielle, mais elle n’est pas tout. Ce vieux malin de Jacques te l’a d’ailleurs écrit : « La recherche du trésor commence par la découverte de la règle d’or ».

J’interromps brusquement mon geste, le marteau en l’air.

Enfin ! Je n’en crois pas mes oreilles. Il attend quinze jours pour me parler, et me ressort mot pour mot l’extrait du testament que je lui avais énoncé alors qu’il avait bu la moitié d’une bouteille d’alcool pur. Ce type est une force de la nature.

- Euh, je m’en doutais un peu. D’après moi, je sais où est l’or matériel, mais je ne pourrai en disposer que lorsque j’aurai acquis la sagesse nécessaire à son utilisation.

- Excellente précaution, quand je vois la misère qu’a engendrée la richesse du sol de Potosi. Ton grand-père était un sage. La règle d’or est un principe universel. Si tous les hommes la respectaient, la terre deviendrait un paradis. Elle consiste à faire à autrui ce que nous voudrions qu’il nous fasse. Ou par une approche négative, mais plus accessible, au moins à ne pas faire aux autres ce que l’on ne voudrait pas que l’on nous fasse.

- C’est tout ?

- Comment c’est tout ? C’est énorme. Ta question montre que tu ne mesures pas les conséquences d’une telle loi. Tu t’attendais à quelque chose de compliqué, en pensant que seul le compliqué se mérite. Au contraire, les lois de la nature sont simples. C’est l’homme qui s’en éloigne en voulant tout analyser, prouver, étiqueter. Ne réfléchis pas à la loi, vis-la. Tu verras alors ton comportement changer, et peut-être ta vie avec. A chaque décision, tu penseras à l’incidence de tes choix pour autrui, tu penseras progressivement aux autres.

Une phrase de Jojo me revient en mémoire : « Tu approches les lois par le raisonnement au lieu de les vivre ».

- Tu me parles comme Jojo. Et comme le texte d’Abraxa : « Tout ce que nous enseignons est illusoire si cela ne se traduit pas par une pratique et par un acte. »

- Le Caducée hermétique et le miroir, je connais… Pourquoi fais-tu cette tête ? Ce n’est pas parce que je suis curé que je n’ai pas étudié les anciens textes soi-disant hérétiques. Bon. Je vois que tu es un intellectuel indécrottable. Puisque tu as besoin de textes pour comprendre l’importance de la loi, tu vas être servi.

Avant l’effort des révélations à venir, le père Duvillard ne peut s’empêcher de boire une gorgée d’alcool.

- « Ainsi, tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le de même pour eux : voilà la Loi et les Prophètes », Jésus, Matthieu, 7 ; 12. «  Comme vous voulez que les gens agissent envers vous, agissez de même envers eux », Jésus, Luc, 6 ; 31. Voilà pour le christianisme. Le judaïsme maintenant : « Ce que tu tiens pour haïssable, ne le fais pas à ton prochain. C’est là toute la Loi, le reste n’est que commentaire », Hillel, Talmud, sabbat, 31-A. « Aime ton prochain comme toi-même », Lévitique 19 ; 18. L’islam : « Nul d’entre vous n’est un croyant s’il ne désire pour son frère ce qu’il désire pour lui-même », Muhammad, 13e des 40 Hadiths de Nawawi.

Incroyable ! Je suis assis sur une charpente, au froid, et l’homme en face de moi qui plante des clous, alcoolique en sevrage, est un savant.

- Le bouddhisme, bien sûr : « Ne blesse pas les autres avec ce qui te fait souffrir toi-même », Bouddha, Sutta Pikata, Udanavagga 5, 18. « Dans le bonheur et la souffrance, nous devons nous abstenir d’infliger aux autres ce que nous n’aimerions pas de nous voir infliger », Mahavira, Yogashatra 2, 20.

Je reste bouche bée. La litanie continue.

- Le taoïsme : « Considère que ton voisin… ». Tu peux continuer de clouer ! « Considère que ton voisin gagne ton pain, et que ton voisin perd ce que tu perds », T’ai shang Kan Ying Pien. Confucius : « Voici certainement la maxime d’amour : ne pas faire aux autres ce que l’on ne veut pas qu’ils nous fassent », Analectes, 15 ; 23. Encore avant, l’hindouisme brahamanique : « Telle est la somme du devoir : ne fais pas aux autres ce qui, à toi, te causerait de la peine », Mahabarata, 5 ; 15, 17. Si tu continues comme cela, tu vas t’écraser les doigts. Le zoroastrisme : « La nature… ». Attention ! « La nature seule est bonne qui se réprime pour ne point faire à autrui ce qui ne serait pas bon pour elle », Dadistan-i-dinik, 94. Le bahaïsme… Je continue ou tu vas enfin comprendre que cette règle est universelle ? Que si tu ne devais connaître qu’une règle de vie, celle-ci te permettrait de traverser le monde sans jamais te tromper de chemin ?

- Vous voulez dire qu’il existe encore d’autres courants religieux sur le sujet ?

- Bien sûr ! De nombreux autres, religieux ou philosophiques. Tous abordent cette loi incontournable.

- Demain, si j’amenais mon carnet, cela vous ennuierait de me répéter certaines formules ?

- C’est pas vrai ! Je viens de te dire de vivre la règle, et toi tu me parles d’écrire. Tu me rajeunis de trente ans. Je crois revoir ton grand-père, toujours perdu dans ses livres. Bon, d’accord. A condition que je puisse lire tes notes.

- Bien sûr, mais ce n’est pas très élaboré.

- Et notre construction, elle est élaborée ? Non, et pourtant elle va offrir l’essentiel, un toit à une famille. Alors arrête cette modestie inutile. Elle te freine dans ton évolution. Découvre-toi. N’aie pas peur.

- N’empêche. Il a bien fallu que vous étudiiez de nombreux écrits pour avoir une telle connaissance.

- C’est vrai. Un point pour toi. Mais je dois surtout mon enseignement à un homme exceptionnel, ton grand-père. Il fut pour moi un maître. Il était un modèle d’humanisme, d’altruisme. Ma foi chrétienne n’est pas toujours celle de l’Église, mais elle est le fruit d’une recherche personnelle que ton grand-père a fortement influencée. Elle n’en est que plus forte. Je n’ai pourtant jamais eu le courage de suivre Jacques jusqu’au bout… Il voulait que j’aime Dieu en dehors de toute Église, en esprit et en vérité comme le prônait Jésus. Mais moi, je n’étais pas un esprit aussi libre, j’avais besoin d’un cadre, d’un ordre qui me guide. Du moins, je l’ai cru longtemps, avant que…

Le visage de Charles Duvillard s’assombrit. Sa main recherche instinctivement la bouteille d’alcool. Puis le père se ravise.

- Rentrons. Cela suffit pour aujourd’hui. »

lien fraternel

A vous d’être la règle et d’agir, pas de réfléchir.